Sa construction fut une épopée de la foi populaire et une parabole de formation religieuse.
LE SANCTUAIRE DE LA VIERGE DE LA GARDE.
Une épopée de la foi populaire et une parabole de formation religieuse.
Flavio Peloso, Tortona 8 mai 2018
Traduit par Joseph Bonsanto
Après la première guerre mondiale, le 4 novembre 1918, une vague d'enthousiasme pour la paix s'installe dans toute l'Europe. Presque partout on érigeades monuments, on dédiades avenues de la«mémoire» et des places. L'Église participa à cet hommage populaire de rendre honneur en construisant des chapelles et des églises.
Le vœu et la promesse
Le vœu eut lieu le 29 août 1918, à l'occasion de la fête de la Vierge de la Garde, célébrée à la petite église de Saint Bernardin : «Ce fut ce jour-là, aux pieds de la gardienne d'Italie, que nous avons dressé un tableau qui existe encore. Dans son milieu il y avait un cœur d'argent, symbole du cœur de tout le peuple ;tout autour du cœuron avait épingléplusieurs listes de noms, les noms des combattants, présentés par des mères et des femmes en larmes. (...) A voix de peuple, on fitle vœu à la Très Sainte Vierge de lui élever un digne Sanctuaire dans le quartier de Saint Bernardin à Tortone ... si la Vierge eût hâté la fin de la guerre avec la victoire des drapeaux italiens, donnant la paix au pays et renvoyant à leur familles sains, saufs et victorieux nos soldats "[1]
Le vœu fut prononcé et béni dans la cathédrale par l'évêque, Mgr. Simon Pierre Grassi.[2]
La guerre mondiale prit fin le 4 novembre, après le vœu et tous les soldats revinrent vivants. Tout le monde à Tortone fit référence au vœu fait à la Vierge de la Garde. Dix jours plus tard, le 15 novembre, Don Orione lance immédiatement un appel aux habitants de Tortone en vue de la construction du Sanctuaire.
"Le nouveau Sanctuaire s'élèvera magnifique en marbre et en art ; enbon auspice pour une Italie plus croyante, plus grande, plus glorieuse ! Et ce sera comme le trône des miséricordes de la Vierge Marie : monument de la religion des Toronnais et de tous les dévots de Notre Dame de la Garde ! L’Evêque en félicitant l'initiative, et en bénissantavec un cœur de Père ceux qui ycontribuaient, voulut être le premier à ouvrir la sous-inscription en payant, entre-temps, comme sapremière offre, la somme de L. 1000 ".[3]
En connaissant la capacité d’initiative de Don Orione, tout faisait penser à sa rapide réalisation. Par contre, les travaux du Sanctuaire ne commenceront qu'en avril 1928.
Pourquoi tout ce retard ? Parce qu’à Tortone, au bout d'un certain temps, fut lancée une initiative similaire : « l’érection d'un Temple qui, comme l'indiquait l'annonce imprimée du 6 mars 1922, tout en accomplissant le vœu à la Vierge, pourla défaite évitée, accueille en même temps sous le manteau de la douce Dame de notre Italie, la mémoire et le nom de tous les tombés de notre diocèse ".[4]
Le projet fut promu par un comité de la ville auquelse joignirent des civils et des membres du clergé. Il aurait dû s’élever sur le château, à la place de l'ancienne cathédrale, sur le terrain de Monsieur Torriglia.[5] La "première pierre" fut bénie le 17 juin 1922.
1922: Don Orione freine et cède la place auTemple votif.
Don Orione, qui s’intéressait déjà pour le Sanctuaire de la Vierge de la Garde à Saint Bernardin, face à cette initiative s’arrêta : "Le projet du Temple de la Paix fut assumé et parrainé par l'Evêque. Par conséquent si on fait le Monument Diocésain, celui-ci a la priorité, puisqu'il s'agit d'une œuvre diocésaine, il a le droit de prendre le devant. Ubi major minor cessat".[6]
Mais l'affaire se transforma en un problème citoyen : "Une partie voulait le Sanctuaire sur le Château ; une partie ici (à Saint Bernardin) - rappelait Don Orione en commentant ces événements -. Et puis, ayant vu que la pelote s’embrouillait, je me suis dit:« Est-ce que ce n'est pas mieux pour moi de me sauver ? Et je suis partipour l’Amérique (1921).[7]
Don Orione participa à la promotion du Temple, pour lequel il remit un don de 100. 000 lires, destiné à son Œuvre. Son espoir était qu’on puisse bâtir le Temple le plus tôt possible pour être ensuite en mesure de penser au Sanctuaire de Saint Bernardin. En effet, ce quartier, détaché du centre-ville, avait,en tout cas,l’urgence d'une église.
Malgré les initiatives des autorités et la collecte de fonds promue par la municipalité et le diocèse, la somme obtenue n'avait pas encouragé les promoteurs à commencer la construction.
Face aux difficultés pour la construction du Temple votif, il y avait des gens qui en attribuaient la responsabilité à Don Orione, en lui procurant amertume et indignation. L'initiative du Temple votif ne pritpas de l’essor, car aucun membre du Comité « n’avait pas confiance » de commencer la construction avec une somme d'argent importante mais insuffisante.
1928 : Voie ouverte pour le Sanctuaire de la Vierge de la Garde.
Alors que les incertitudes sur la construction du Temple se prolongeaient, la récurrence de la fêtede la Vierge dela Garde, le 29 août de chaque année, apporta une vague de dévotion mariale populaire au quartier de Saint Bernardin et, aux pieds de la Vierge, on se souvint duvœu, et, par cela, le désir de construire le Sanctuaire promis.
En l'absence d'une prévision de réalisation du Temple votif, Mgr Grassi donna le feu vert à Don Orione pour la construction du Sanctuaire de la Vierge dela Garde. Le 23 octobre 1926, eut lieu la bénédiction de la première pierre du Sanctuaire de la Vierge de la Garde par le cardinal Charles Perosi.
Après deux ans, avec une lettre du 7 mars 1928, Mgr Grassi prend position : « Je pense que c'est une résolution digne du cœur de Don Orione celle de rompre les délais et de se mettre courageusement au travail ». Il réitère son opinion favorable : "Quelle soitdonc mon opinion sur l'opportunité d'élever, dans le quartier populeux et reculé de Saint Bernardin, un magnifique et grand Sanctuaire en l'honneur et au nom de la Vierge de la Garde, je l'ai déjà dit, ça fait déjà peut-être 10 ans, dans une lettre que vousavez voulu aussi publier".[8]
Don Orione, dès qu'il reçut la bénédiction de l'Evêque, faisant confiance à la Divine Providence, à l'humble participation des braves gens, à la contribution de quelques bienfaiteurs génois et au travail de ses ouvriers, commence - déjà en avril 1928 - la construction du Sanctuaire à "Saint Bernardin".
Une épopée populaire
L'épopée est un cycle d’événements, d'idéaux et de gestes héroïques, souvent amplifiés, auxquels un peuple se réfère pour son identité basée sur des valeurs communes. Il y a une épopée quand il y a un ou plusieurs personnages exceptionnels autour desquels se développe une forte implication émotionnelle, idéale et pratique d'un grand nombre de personnes qui se transforment de massesenpeuple. Eh bien, la construction du Sanctuaire de la Vierge de la Garde, pendant trois ans, constitua une véritable épopée pour les Orionistes et les gens de Tortone.
Pour la construction du Sanctuaire, Don Orione était le protagoniste épique qui sut promouvoir et favoriser une grande participation populaire à trois niveaux : spirituel, le premier et le décisif, économique et en action de travail.
Les événements
Laissant de côté les aspects techniques, artistiques et économiques de cette grande œuvre, nous rappelons ici quelques événements et surtout le climat humain et spirituel que Don Orione transmettait non seulement à ses confrères, jeunes religieux et amis (le peuple Orioniste) mais à toute la ville et à l'ensemble du diocèse.
Il fallut beaucoup de courage pour se lancer dans la construction d’un Sanctuaire et, en outre, dans une situation économique de grande pauvreté pendant la terrible crise économique de 1929. Le Sanctuaire de la Vierge de la Garde fut construit entre 1928 et 1931. Il fut solennellement béni le 29 août 1931 par l'évêque Mgr Simon Pierre Grassi. Ce fut une fête mémorable. Il resta célèbre pour la procession de ses séminaristes ouvriers, avec des brouettes, des pics et des pelles ; le séminariste Brunello, le miraculé, marchait tout juste avant la statue de la Vierge.
On sait que le Sanctuaire fut « construit » par les prêtres et les séminaristes que Don Orione sut intéresser, motiver et animer. Les travaux de construction du Sanctuaire débutèrent le 16 avril 1928, lundi après le dimanche « in Albis ».
Voir les prêtres travailler au Sanctuaire c’était un spectacle qui enchantait Tortone, jamais trop tendre par rapport aux prêtres. Ceux de Don Orione étaient des "prêtres d'étole et de travail", "aux manches retroussées” : tout le monde s'en rendait compte.
Dans la soirée du 15 avril, Don Orione parla à ses jeunes religieux.
« Demain vous partirez d'ici, mieux encore, nous partirons d'ici, parce que je veux vous guider et ouvrir le chemin, au moins idéalement ... Nous partirons d'ici avec les outils de travail, avec tout ce que vous trouverez utile et adapté au travail que nous voulons débuter.
Personne, je pense, n'aura honte de traverser la ville avec des bêches et des houes sur les épaules... Nous n'allons pas à la conquête de la terre, mais nous allons faire un Sanctuaire, une église qui loue Dieu et la Très Sainte Vierge, qui élève ses pointes au ciel, offrant un refuge aux âmes, pour le salut des âmes ... Donc, pas de respect humain! Si quelqu'un aura quelque chose à dire, je serai là, en tête du convoi pour le recevoir, pour vous protéger, pour vous défendre d'un mot piquant, peut-être d’un sourire un peu…comme çà… ! Construire un Sanctuaire signifie ouvrir une maison de la Vierge, une source toute spéciale et certainement extraordinaire de grâces et de bénédictions de la Vierge ; cela signifie ouvrir les portes à la miséricorde de la Mère de Dieu : les âmes vont plus volontiers auxSanctuaires, parce qu'elles se sentent mieux près du sourire de la Mère Céleste ...
Ouvrir un Sanctuaire signifie, vous le comprenez, permettre à beaucoup d'âmes d’entendre un appel plus vif de la sainte Vierge, presque une école de bonté, un refuge de salut moral ... ".[9]
Et voyons comment se passa ce premier jour de travail dans la mémoire de l'un des jeunes religieux.
"Le 16 avril après-midi Don Orione nous emmena à Saint Bernardin. Un par un, nous sommes entrés dans l’ancienne chapelle de la Vierge de la Garde, nous avons déposé les outils de travail sur le seuil, nous avons récité un « Je vous salue Marie », entonné par Don Orione qui s'était agenouillé ; sortis de la chapelle nous sommes allés au grand jardin potager, où nous avons récité encore un « Je vous salue Marie ». Ensuite Don Orione donna le premier coup symbolique de bèche. Il nous divisa en deux équipes : les petits amenèrent les briques, les grands commencèrent à creuser la terre et à charger les charrettes. Don Orione prit une bèche et continua à bécher jusqu'à six heures du soir ".[10]
Ainsi débuta la "sainte fatigue" des "ouvriers de la Vierge", des "colporteurs de la Divine Providence". Ce fut le commencement de l'épopée humble et fervente du travail, duré trois ans pour donner à Tortone son Sanctuaire marial.
"Avez-vous fait le sermon du bon exemple aujourd'hui?" Quels yeux grands ouverts avaient les gens ce matin ! Mais vous avez été parfaits et la procession de ce nouveau genre s'est bien passée, à la gloire de la Sainte Vierge, et le sermon, je pense, a pleinement réussi.
Aucun d'entre vous n'a été effrayé par les sourires du peuple... Mais il faut dire que les gens, à mon avis, sont restés plus que tout édifiés, spécialement ceux de Saint Bernardin, dont nous connaissons bien leur pensée concernant les prêtres. Le sermon a donc commencé, et ce sera un long sermon, qui durera quelques années : nous espérons de faire vite, mais cela prendra certainement du temps. Et les gens vous verront travailler pour la Sainte Vierge et seront édifiés, recevront du bon exemple. Ils verront que vous pouvez utiliser le stylo mais aussi la houe et la pioche ; ils verront que vous n'êtes pas seulement capables de dire des « Notre Père » mais aussi de travailler dur, ayant des mains calleuses, de vous sacrifier pour cette religion que vous vous apprêtez à leur prêcher.
Quand vous serez plus âgés vous allez comprendre la valeur de ce que vous faites maintenant.
C'est une grande leçon, une grande leçon qui impressionnera les gens, car, malheureusement, dans une certaine classe de personnes, la fatigue manuelle est peu connue, plutôt ils passent pour des gens peu enclins au travail, à la fatigue et qui cherchent d’avoir une vie tranquille, confortable ... ce n'est pas toujours vrai, mais c’est ce que généralement les gens pensent. Nous devons montrer que ce n'est pas vrai ... du moins non pour tout le monde ... Eh bien, la Vierge vous a vu et va vous récompenser ... Il faut continuer, Il faut continuer ".[11]
"On allait travailler en équipe. Une équipe restait à la maison étudier et une allait au travail. Chaque soir, dans ces premiers jours, Don Orione exigeait que, revenus du travail, nous passions chez lui : en plaisantant, il examinait nos mains, pour voir si les callosités grandissaient".[12]
Cela a dû être un spectacle surprenant : "une centaine de jeunes, séminaristes et prêtres de Don Orione, appartenant à toutes les régions d'Italie et aussi de Pologne, régulièrement encadrés, et en soutane, ayant des pics, des pelles et des bêches, sortait de la maison-mère de Tortone et marchant dans la centrale rue Emilia allait atteindre le chantier de Saint Bernardin, pour se dédier aux premiers travaux du sanctuaire ".[13]
Don Orione écrivait aux habitants de Tortone: « Au sanctuaire, travaillent des ouvriers enthousiastes et volontaires à des heures alternées et tous les jours ; Ces sont des prêtres et des séminaristes qui travaillent de pelle, de bèches, de pioche, de dos, pour ériger tôt et beau votre sanctuaire è la Vierge de la Garde ".[14]
Engagement spirituel. "Plus que par des briques, le Sanctuaire est fait par des « Je vous salue Marie! »
L'engagement spirituel était instinctivement et consciemment voulu par Don Orione comme la prémisse et le but de la construction du Sanctuaire. Il s'agissait du bien des âmes, de « donner le Christ au peuple et le peuple à l'Église du Christ ». Il était convaincu que «même aujourd'hui le peuple a l'instinct de prière»[15] et que la dévotion mariale réussisse à faire sortir cet «instinct de prière»chez beaucoup de gens, endormis ou réprimés. Il considérait la dévotion à la Sainte Vierge comme une expression de la recherche de Dieu, "tant naturelle" et peut-être "le dernier lien" avec le sens de Dieu, de la foi.
« Élever un sanctuaire, c'est ouvrir une maison de Dieu, parce que la Sainte Vierge conduit toujours à Dieu, parce que celui qui cherche et se confie à la Sainte Vierge cherche et trouve toujours Dieu.La Vierge est le chemin le plus facile pour aller à Dieu : c’est sa mission ».
Ces convictions furent confirmées par l'histoire du Sanctuaire de la Vierge de la Garde.
"On peut affirmer que toutes ces briques du Sanctuaire - observait Don Orione - ont été placées par la force des « je vous salue Marie » ; plus que par des briques, ce sanctuaire a été érigé par des « je vous salue Marie » ; il est fait de « je vous salue Marie », plus que de chaux et de briques. Combien on a tous prié, quand on faisait monter les murs, quand on creusait les fondations !... Combien d'âmes priaient, pour que tout puisse bien se passer ! Les vieilles femmes de Saint Bernardin allaient dans l'ancien petit Sanctuaire de la Garde, proche d’ici, pour prier; les femmes, les lavandières fidèles, celles de la première heure, affectionnées de notre Institut, m'ont dit qu'elles récitaient de nombreux chapelets pour nos jeunes religieux, émues et édifiées en les voyant travailler si volontiers, malgré la chaleur ou le froid ... J'avais aussi engagé des âmes bonnes et religieuses d'autres Instituts, et chaque jour elles envoyaient à Tortone leur soutien de prières, par des « je vous salue Marie » et des chapelets...
Nos Sœurs me disaient que quand elles regardaient en dehors de leur maison ou sortaient et voyaient nos jeunes séminaristes là-haut, par-dessus les ponts et les échafaudages, elles auraient voulu presque les aider elles aussi à construire le Sanctuaire ... mais, ne pouvant rien faire d'autre, elles me disaient que récitaient beaucoup de « je vous salue Marie ».[16]
Don Orione par sa foi ardente dans la Providence, sa dévotion à la Vierge, son amour passionné pour les humbles réussit à "débusquer", émouvoir les gens, à les faire sortir de leur fatalisme et de leur fermeture, pour les amener à entrer avec confiance dans la construction, dans la collaboration, dans l'expérience de la socialité religieuse et civile, dans l'espoir. L'épopée de la construction du Sanctuaire ce n'est pas de la poésie, c'est de l'histoire. C'est une histoire poétique, dans le sens qu'elle favorise de nouvelles visions, de nouvelles actions et de nouvelles créations. Et aussi des miracles.
Il resta célèbre le « miracle » du jeune religieux Dominique Brunello, qui tomba d’une hauteur de 18 mètres et resta indemne ! Il raconta à plusieurs reprises ce qui s’était passé.
"C'était le 17 octobre 1930. Je tenais en main un essieu de quatre mètres de long, et je marchais sur un autre de vingt centimètres de large et trois mètres de long. En donnant de l'élan à celui que je portais pour le faire monter sur l'échafaud plus en haut... en dessous de mes pieds me manqua le soutien, mais j'eus la présence d'esprit d’invoquer : « Jésus et Marie, sauvez-moi !». Je me souviens clairement, que pendant le vol, commencé à tête en bas, je faisais ce raisonnement : « qu’est-ce que diront ma mère et mon père en me voyant si massacré ?
Secoué par un terrible coup, je me retrouve assis au sol : certainement une main mystérieuse m'a fait pivoter, interrompant le vol à tête baissée et en me redressant avant de toucher le bas de la crypte.
Tombé comme ça au sol et dans la position normale de qui est assis, je fais un effort pour me lever et me soustraire aux regards impressionnés de mes camarades. Mais je n’y arrive pas ; plutôt après cet effort, la vue commence à s’affaiblir.
Après quelques minutes, on décide de me soulever et m’amener en haut, mais je les arrête, en disant :« laissez-moi seul, j’ai mal au dos » Après un bon quart d'heure, on décide de me déposer sur le sol en haut et de me mettre sur un matelas. Une fois sur le matelas, on essaie d’enlever mes chaussures ; Je m'oppose en disant : «Non, ne m’enlevez pas les chaussures, parce que j'ai des chaussettes percées». À ces mots, certains commencent à sourire et d'autres s'exclament rassurés : "c’est bon, il ne va pas mourir."
À l'hôpital, on me détient en observation pendant 40 jours. Deux mois après, je peux reprendre lentement mon travail de manœuvre de la Sainte Vierge. »[17]
Les gens de Tortone furent émus en voyant ces prêtres en soutane faire les maçons et travailler dur pour la Sainte Vierge. Beaucoup de ceux qui passaient en voiture dans l'importante rue Emilia s’arrêtaient curieux et admirés.
Parmi les séminaristes, il y avait, Ernest Odin, un «carissime» c’est à dire une vocation adulte, un ancien meunier grand et gros. Il était fameux parce qu'il était capable de soulever 4 paquets de ciment de 40 kilos, en les tenant deux par chaque côté. Un jour, il traversait la rue Emilia ayant deux paquets de ciment sous ses bras. Une voiture s’arrêta pour le faire passer et admirer ce prêtre géant, avec sa grande soutane toute sale, qui marchait avec ces paquets de ciment. Il venait juste de traverser la route lorsqu’un monsieur depuis la voiture lui cria : « Mais qui t’oblige à le faire?». Odin se retourna, fit un moment de silence, puis faisant signe avec la tête vers le haut: « Le paradis ! ». « Et s’il n’existe pas …? » – rétorqua sceptique le chauffeur. « Et s'il existe…? » – dit le bon Odin en continuant avec ses paquets sous ses bras.[18]
Implication économique
Don Orione impliqua la ville de Tortone par des informations, par des affiches, par une collecte d'argent. Il lança l'initiative des « tirelires de la Sainte Vierge »[19] placées dans les magasins, dans tous les lieus publics et dans les maisons. Il promut des abonnements pour payer des éléments particuliers de la construction du sanctuaire. Il parcourut les rues de la ville, comme en procession, avec la grande "colonne Dertona",[20]en marbre, fruit d'une collecte faite par la ville, avant de la poser dans le sanctuaire.
Au moment de la récolte, il lança la collecte du « blé de la Vierge»[21] «Maintenant, ô mes bienfaiteurs du blé, je veux avant tout vous faire une chaleureuse invitation... je viens pour chercher du blé, les dépenses pour le sanctuaire ont beaucoup augmenté. Qui d'entre vous ne voudra pas me faire la charité de donner, encore cette année, un peu de blé pour contribuer au nouveau sanctuaire de la Vierge de la Garde ?[22]
L'initiative la plus originale et la plus célèbre fut sans aucun doute celle de la "quête des pots cassés".[23] « Désormais, on me désigne par un nom que personne ne m’enlèvera plus : on m'appelle le « prêtre des pots cassés. Et même ce nom qu’il soit le bienvenu. L’important c’est de servir la Sainte Vierge ! »[24] Don Orione visita tous les villages et les villes du diocèse de Tortone en prêchant la Sainte Vierge et en ramassant l'humble offrande des pauvres.
"N'avez-vous pas dans vos maisons un vieux pot ou une vieille marmite en cuivre, que vous n’utilisez plus ? Des chaudières cassées, des chaudrons, des poêles à frire, des pans, des chauffants électriques, une grosse marmite à me donner pour faire la statue de la sainte Vierge ? N'auriez-vous pas des louches, des écumeurs en cuivre, des cuves, des seaux, des pompes à sulfate cassées, des monnaies en cuivre sans valeur ? Je prends tout ! »[25]
Par cette quête singulière, Don Orione put offrir aussi aux pauvres le privilège de participer à la fabrication de la statue rêvée de la Sainte Vierge. Le 15 mars 1931, Don Orione, à la fin d'une collection de cuivre à Novi Ligure, déclara : « Jusqu’à aujourd'hui nous sont parvenus de jour en jour, de samedi en samedi, les secours : ce qui est arithmétiquement nécessaire. Nous avons presque payé les 12 colonnes de 300 000 lires, les 5 millions de briques, le socle en granit, les poutres, le bois pour les échafauds, etc. ".[26] Cette liste de chiffres sonnait dans l'oreille du peuple stupéfait comme une litanie de la divine Providence.
L'emploi aussi des jeunes religieux dans la construction du sanctuaire constitua également une contribution économique. Il n'y avait pas d'argent en Italie dans l'après-guerre et à l'époque de la "grande dépression" de 1929. « Les jeunes religieux qui travaillaient au sanctuaire de Tortone ont fait épargner à la Congrégation 400 ou 500 mille lires. Je veux faire une plaque où leurs noms seront gravés comme bienfaiteurs du sanctuaire. »[27]
La péculiarité avec laquelle le Sanctuaire de la Vierge de la Garde de Tortone se qualifie encore aujourd'hui c’est : un sanctuaire construit par des jeunes religieux travailleurs.
« Nous étions un grand groupe au travail ; les petits séminaristes (les probands), les jeunes religieux (les clercs), “les carissimi"(les vocations adultes): nous "les carissimi", nous étions presque 40. Les petits séminaristes aussi venaient depuis la maison-mère dans la rue Emilia (le paterno), dans quelques après-midis, pendant quelques heures, et ils nettoyaient des vieilles briques, filtraient le sable, amenaient de l'eau, redressaient des clous. Pour certains moments de grand travail, le Père Sterpi mobilisait tout le monde et demandait à chacun de faire ce dont il était capable. C’était comme un nid de fourmis dans ce chantier : chacun donnait, avec un élan indicible de générosité, ce qu'il pouvait donner, sous la direction de Michel Bianchi, le maître bâtisseur de la Providence.[28]
Ce fut déterminante économiquement la contribution des bienfaiteurs, - en particulier les génois - qui se sentaient honorés de donner des sommes substantielles pour la construction du Sanctuaire. Don Orione les suivait, leur écrivait, les mettait au courant des progrès de l'œuvre. « Que vous soyez bénis, honorables Bienfaiteurs génois, vous êtes les bienfaiteurs les plus fidèles... Vous, chers génois, vous avez vu naître et grandir nôtre sanctuaire. »[29]
Implication des idéaux et des valeurs
Cette activité de travail avait principalement des motivations formatrices (pour le bien des religieux) et apostoliques (pour le bien du peuple).
Le 28 avril 1929 : « Ça fait un an, dans ces jours, depuis le début du travail du sanctuaire votif... Je vous dis un grand merci public pour ce que vous avez fait jusqu'à présent. Rappelez-vous que le sermon continue... Gardez à l'esprit ce que je vous ai dit autrefois : le vôtre est un sermon, un sermon ! Mais de ces...spéciaux. On voit clairement que les gens approchent, que ces gens, autour de nous ici dans le quartier, nous regardent avec des yeux différents de ceux qui nous regardaient auparavant. L’exemple pénètre dans les cœurs sans parler ! Mieux, si on parle moins, on fait plus de bien.
Et dans le temps, parmi ces jeunes religieux, nous aurons de ceux qui dirigeront les maisons dans l'esprit de leur sacrifice. Les années d'étude sont nécessaires, mais il est aussi nécessaire de veiller à ce que la seule étude ne les fasse pas devenir des jeunes gens gâtés.
Les personnes qui applaudissaient les ouvriers étaient l'expression de la satisfaction populaire. Nous avons gagné autant de crédit, par la grâce de Dieu, que si nous fassions aussi des dettes, tout le monde nous ferait confiance. Nous sommes à des moments où, s'ils voient le prêtre seulement avec l’étole, tout le monde ne nous suivrait pas, mais si au contraire ils voient, autour de la soutane du prêtre, les vieux et les orphelins, alors on va les trainer derrière nous... La charité traîne ! La charité fait bouger et conduit à la foi et à l'espérance.
Oh l'exemple donné par nos jeunes religieux en travaillant et se prodiguant pour la Sainte Vierge ! Ce sont eux qui ont transformé beaucoup d'esprits préconçus envers les prêtres, et quand les gens les verront célébrer la Messe et les entendront prêcher, écouteront leurs paroles avec la conviction que, avant qu'ils ne parlent, ils ont agit : Coepit facere et docere...Voilà, il faut savoir comment travailler pour Dieu, non pas pour une vaine gloire ou pour un intérêt matériel, mais pour travailler, travailler pour les pauvres et pour redonner la religion au peuple.
Si l'Évangile est de nouveau rentré dans de nombreuses familles de Saint Bernardin, ce n'est certainement pas grâce aux sermons du prévôt de Saint Michel, vous me comprenez, mais parce qu'ils ont vu les prêtres au travail. Les gens veulent voir la réalité! Nous ne demandons pas d’être payés pour sonner une, deux ou trois fois les cloches.[30]
Un de nos séminaristes, votre camarade, qui travaillait dans ce sanctuaire, me disait : "Nous espérons que la sainte Vierge ait compté toutes ces briques que nous avons passés aux maçons." Oh oui ! - Je lui ai dit -. Soyez rassurés que la Sainte Vierge a un livre de comptabilité où rien ne lui échappe : elle a compté vos sacrifices, les gouttes de votre sueur, les prières que vous avez faites... Et quand vous irez au ciel, elle vous reconnaîtra immédiatement, car elle verra les durons dans vos mains, produits pour lui élever un beau sanctuaire.
Les œuvres et l’humble travail manuel avaient pour Don Orione une valeur apologétique qu'il expliquait à ses jeunes religieux par ces mots: «les gens vous verront travailler pour la Sainte Vierge et seront édifiés, recevront un bon exemple. Ils verront que vous êtes bien capables d'utiliser le stylo, mais aussi la houe et la pioche; Ils verront que vous êtes non seulement bons pour dire des « Pater Noster »r, mais aussi pour travailler dur, pour rendre calleuses vos mains, pur vous sacrifier pour cette religion que vous vous préparez à leur prêcher.
Procession de la fête de la Vierge de la Garde du 29 août 1931.
Don Orione était conscient de ses « bizarreries pastorales » et en donnait des motivations.
"En faisant le bien, si vous n’êtes pas un peu « originels », si vous n’avez pas d’initiative... on reste bloqués, on moisi. La nouveauté est un moyen de faire le bien, car elle attire l'attention et l'intérêt des autres dans les initiatives du bien. Les ministres du mal n'ont pas honte, non, d’être originaux, audaces, créateurs de nouveautés et, même, étranges et bizarres ! C’est nous qui devrions l’avoir ?
Quand la Sainte Vierge nous donnera la grâce de réaliser sa grande statue avec le cuivre recueilli dans les paroisses du diocèse de Tortone, vous verrez quel feu d'enthousiasme, de foi et d'amour pour Elle..., C'est bien cela que nous voulons ! Aider le sentiment du simple, du peuple, des bonnes personnes, en les conduisant aux idéaux les plus sacrés du christianisme, dont la dévotion à Marie est la plus intuitive, la plus sensible, la plus facile à comprendre par tout le monde.
La construction du sanctuaire de la Vierge de la Garde de Tortone (1928-1931) fut l'épopée d'un homme plein de foi et qui se lance tout seul, dans le rêve de "construire l'église", et par la suite implique tout le monde dans le défi entre la petitesse des ressources et la grandeur du résultat pour faire toucher du doigt « qu’il y a la Providence ».
Il arrive à intéresser ses confrères, ses Sœurs, ses jeunes religieux bâtisseurs, en obtenant des importants résultats de formation religieuse.
Il implique aussi des personnes aisées et de haut niveau social, des autorités civiles et ecclésiastiques, par des effets de responsabilisation et de solidarité.
Il donne de l’importance aux gens humbles, au peuple qui participe et offre quelque chose de sa pauvreté. À travers la « quête de pots cassés », beaucoup de monde s’est senti invité à la « réalisation du sanctuaire». Moi aussi j’ai écouté personnellement, plusieurs décennies plus tard, des gens dire avec satisfaction : "dans la statue de la Vierge, il y a aussi les pots cassés de ma grand-mère."
L'église appartienne à tous.
"Nous devons construire l'église" c’était son refrain. Cette-ci est l'Église (avec le e majuscule) que rêvait Don Orione: une église en construction, une église au milieu de la Ville ( le v aussi en majuscule), composée de personnes de conditions et rôles différents qui collaborent, qui croient en la divine Providence et même s’ils ne sont pas des croyants, mais qui font confiance à un homme qui croit en la divine Providence et participent avec solidarité. À la fin, ces qui « construisent » se rendent compte qu'ils construisent non seulement l'église, mais la ville (la citoyenneté) de Tortone impliquée dans le projet.
Don Orione put voir le Sanctuaire, bâti seulement en trois ans, inauguré en 1931 et devenu une maison religieuse et civile. Mais quand il l'a laissé, en 1940, c’était toujours en construction. Don Orione, qui au début était un frénétique dragueur pour la construction, par la suite ne put plus être pressé de « finir » son église, de l'embellir, d'en faire quelque chose à admirer et non plus à construire.
Il reste toujours quelque chose à faire dans la construction de l'église.
[1]Écrits91, 342; Les Archives Don Orione de Rome (Via Etruria 6), seront mentionnés par ADO.
[2]Parole IV, 322.
[3]Écrits 62, 52.
[4] Lettre imprimée, dans ADO.
[5]Le château avait été abandonné après sa destruction par ordre de Napoléon. L'emplacement correspond à la zone où se trouve Villa Charitas, passée quelque temps après à Don Orione. Voir "Le peuple", 5.6.1922.
[6]Écrits 64, 167-168.
[7]Discours du 29.5.1938; Parole IX, 277. En réalité, le voyage de Don Orione en Amérique latine (Brésil, Uruguay, Argentine) était prévu depuis longtemps et reporté à plusieurs reprises.
[8]Écrits 83, 90-92.
[9] Parole III, 141.
[10]Don Orione dans la lumière de Marie (DOLM), 1471.
[11]Parole III, 141/5
[12]DOLM 1473.
[13]DOLM 1468.
[14]Écrins 113, 35.
[15]Ibidem.
[16]DOLM 1585-1586.
[17]DOLM 1534.1537
[18]J’ai appris ce récit par le Père Stefano Ongari.
[19]DOLM 1496 ss.
[20]DOLM 1596.
[21]DOLM 1517-1518.
[22]Écrits114, 84.
[23] DOLM 1555 ss.
[24]Écrits 62, 73; 92, 185;
[25]Écrits 62, 28-29.
[26] DOLM 1566.
[27] DOLM 1592-1593.
[28]DOLM 1587.
[29]DOLM 1774.
[30]Parole du 27.12.1933, Vb 231.